Bo Burnham en a fait une chanson, « Whites Women Instagram », Instagram comme reflet d’une vie parfaite que l’on peut étaler sur les réseaux sociaux pour montrer ses succès et ses réussites dans la vie comme au travail, exactement comme la société nous le demande. Mais si, après tout, le succès, ça n’était pas ça, si la vraie réussite n’était qu’une succession de petits bonheurs ordinaires, si, comme dans la chanson, tout n’était pas aussi joli qu’on veut bien le montrer. La vie d’Edith n’est pas trop Instagrammable mais un peu quand même. Elle s’amuse, papillonne, elle a des amis et un bon job, mais elle avoue s’ennuyer un peu. Pas trop, mais un peu. Puis le confinement arrive et tout est chamboulé.
Vous écoutez Transfer, épisode 292, un témoignage recueilli par Miren Garaicoechea.
« On est en 2018, j’ai 35 ans, je travaille dans un cabinet dentaire, j’habite dans un appart qui me plaît, j’ai une vie sentimentale instable mais intéressante, j’ai des amis que j’adore, une famille équilibrée, j’ai un quotidien qui me convient mais sans plus. C’est une vie qu’on qualifie souvent d’instagrammable, je pense que c’est vrai mais j’ai l’impression que ça me suffit pas. Je suis célibataire, j’ai des histoires régulièrement, j’ai des grosses périodes de célibat régulièrement aussi, mais tout va bien, je trouve mon compte dans mon quotidien sentimental. »
« Quand j’avais entre 20 et 30 ans, j’étais avec un garçon qui était super, une bonne famille, gendre idéale, très sympa, on avait très envie de faire des enfants, on avait envie de faire une autre vie professionnelle, on faisait le même métier, on s’entendait très bien et ses parents avaient déjà projeté le mariage, la maison dans laquelle on allait vivre, nos carrières étaient tracées, nos vies étaient tracées et ça m’a fait très très peur donc je suis partie et j’ai pas fondé de famille avec ce garçon-là. »
« À 35 ans, on a une petite pression sociale, les gens commencent à nous faire comprendre que c’est maintenant ou jamais pour avoir des enfants, pour éventuellement construire une vie de couple qui s’inscrira dans la durée, trouver quelqu’un qui reste aussi jusqu’à la fin de nos jours, c’est tant qu’on est en forme, c’est tant qu’on a une vie professionnelle pas trop envahissante qu’on peut trouver un homme qui réussit, on me fait comprendre qu’il faudrait que je commence à y penser sérieusement. Moi j’entends ces pressions mais je m’en fiche un peu, je me dis que si j’ai pas d’enfants c’est pas très grave, ça me ferait plaisir mais c’est pas obligatoire, que ma vie elle est bien comme elle est, j’ai l’impression que j’attends quelque chose mais je sais pas vraiment ce que j’attends et je suis loin d’être sûre que c’est des enfants. J’ai été en couple, ça m’est arrivé de vivre en couple, j’ai déjà eu des projets d’enfants avec des hommes, j’ai déjà vécu avec des hommes qui avaient envie de construire des familles avec moi, je pense que ça m’a toujours fait un petit peu peur mais je sais que c’est possible et j’ai eu quelques accidents, j’ai eu des grossesses non désirées et j’ai pas gardé les bébés, ça m’est arrivé deux fois, j’ai pas gardé les bébés parce que j’estimais que c’était pas le bon moment, pas la bonne personne, que j’en avais pas envie et qu’ayant la chance de vivre en France dans ces années là, je pouvais me permettre de dire « non ça me dit rien, je me fais avorter ». »
« Fin 2019, je vais chez une amie qui habite à la campagne et qui a recueilli un de ses amis qui vient de se faire quitter par sa compagne qui est au plus mal, qui sait pas où vivre, elle lui échange le prêt d’un petit gîte contre des petits travaux. Cet homme il a une quarantaine d’années, il s’appelle Gaëtan, il est chauffeur routier et je l’avais déjà rencontré précédemment quand il était avec la personne qui vient de le quitter et je m’étais dit « Ouah mais il y a quelque chose de très intéressant sexuellement », on l’avait remarqué avec des amis, on s’était dit « Ouah mais c’est qui ce type ? » »
« Après nous être vu chez cette amie, on échange nos numéros, on se dit que ça peut être chouette de se revoir, lui il a besoin de sortir, j’habite en ville, je peux lui proposer des trucs à faire pour lui changer les idées, on se voit toutes les semaines, on discute peu, on se voit surtout physiquement, on a des horaires décalés donc on s’arrange pour se voir, on boit un verre et puis très vite en fait on couche ensemble et on fait des siestes crapuleuses très régulièrement. C’est super avec ce mec là, déjà parce que il ne me demande pas d’attachement particulier, il ne me demande rien, c’est très pratique, il est de très bonne compagnie, il est très sympa et il est très à l’écoute et il est aussi très à l’écoute de mes besoins physiques, c’est à dire que c’est un peu un technicien, il aime bien rechercher le plaisir chez les gens, en règle générale il est comme ça, il aime bien faire plaisir, il sait parfaitement ce que les gens aiment manger, il sait parfaitement ce que les gens aiment écouter, il est très à l’écoute de ça et je remarque qu’Oli c’est pareil, il sait facilement repérer ce qu’on aime bien, ce qu’on aime pas et il n’y a jamais besoin de lui dire quoi que ce soit et jamais il fait une bourde deux fois. Pour moi ça évoque une légèreté parce que c’est tellement simple, il me fait redécouvrir le plaisir du sexe, le plaisir d’être relié avec quelqu’un, il me procure des plaisirs que je connaissais pas, que je me connaissais pas et il est aussi en demande de choses très simples mais qui me font aussi moi me soucier de son plaisir à lui et ça me coûte pas du tout de le faire. J’ai l’impression qu’il me fait progresser pour mes relations futures et ça ça m’intéresse parce que je m’imagine pas avec lui mais je me dis « Ah tiens une petite remise à niveau » et il me fait du bien. En un mot, c’est un super coup. »
« Je le raconte à mes amis, ils ne sont pas surpris parce qu’ils savent que je le trouve très beau, c’est complètement mon genre, il est très brun, un peu méditerranéen, le regard très sombre, tout ce que j’aime, taille moyenne, corpulence moyenne, ça me va bien, c’est vraiment dans son visage qu’il y a quelque chose que je trouve extraordinaire. Mes amis sont surpris par contre parce qu’on vient de deux mondes complètement différents, qu’on a des manières de voir la vie complètement différemment, que nos quotidiens sont différents, on a à peu près rien en commun. Pas très sortable, je l’amène très peu avec moi quand je vais quelque part, j’hésite toujours à le présenter, j’ai pas envie qu’on nous considère ou qu’on nous voit comme un couple parce que je sais que je vais pas rester avec lui et qu’en plus je le trouve un peu rustre. »
« Début 2020, on décide d’arrêter de se voir parce que ça ne mène à rien, que j’ai l’impression qu’on a un peu fait le tour, qu’on n’a aucun avenir commun, je le trouve pas très sympathique, j’aime bien physiquement ce qui se passe entre nous mais ça va pas au delà. Moi je commence à me poser la question, à me dire est-ce qu’il serait pas tant d’envisager d’avoir des enfants et lui notamment sur ce point n’est pas du tout d’accord avec moi, il déteste l’enfance, tout ce qui est lié à l’enfance, sa propre enfance, les enfants, les enfants des autres, l’idée de l’enfance, il déteste tout ce qui s’en rapporte de près ou de loin. Il a même prévu une vasectomie qui doit intervenir courant 2020. Cette séparation je me dis c’est dommage parce que physiquement c’est quand même très très intéressant mais c’est bien parce qu’il fallait qu’on arrive au bout de cette histoire là qui ressemblait à rien finalement quoi. »
« Fin février 2020 il y a une ambiance un peu épidémie, on sait pas encore trop ce qui se passe, on commence à entendre parler qu’on va être confiné mais je pense pas être concerné, je me dis « Bah je travaille pas en rapport avec du public, je peux faire ma vie, j’habite seul », je suis pas très inquiète et j’ai pas l’impression que ça me concerne. Début mars 2020 je me retrouve comme tout le monde à apprendre qu’il va y avoir un confinement, j’arrive au travail, mon patron me dit « Bah non vous rangez vos affaires et vous partez tous chez vous, on est confiné et on ferme comme tout le monde ». Je suis séparée d’avec Gaëtan, on a quelques contacts mais on ne se voit plus depuis quelques jours et je flippe. Je me dis mais je vais me retrouver toute seule dans mon appart qui a même pas de balcon et lui flippe un peu de son côté parce qu’il est tout seul dans la maison de mon ami à la campagne, il supporte pas la solitude et je lui demande si je peux venir me confiner chez lui. Au début ça doit durer 15 jours, c’est ce qu’il a un peu annoncé donc on se dit « ah bah 15 jours c’est bien, on repousse un peu notre séparation, on n’est pas à ça près, on s’en fout, on reste ensemble et puis comme ça on prendra des apéros, on s’enverra en l’air et ce sera pas pire ». Sa maison elle est vraiment super bien, elle est en travaux parce que justement c’est pour ça qu’il est là, mon ami lui prête cette maison en échange d’une petite rénovation parce que la maison elle est en train de la retaper, c’est une ancienne petite grange qui est mignonne comme tout, qui n’est pas grande et qui n’a pas encore tout à fait de cloison donc la cuisine et la salle de bain sont dans la même pièce, il y a une petite chambre en haut et un petit poêle pour chauffer tout ça, le site est un peu magique, les champs autour sont magnifiques, c’est une période de l’année où c’est super joli et j’adore être là bas, il y a des super bonnes vibrations et j’aime beaucoup cet endroit. »
« Pendant ce confinement, lui travaille encore parce qu’il est chauffeur-livreur et qui fait partie des emplois de première nécessité donc il n’est pas là beaucoup mais quand il est là, on mange, on se fait des bouffes, on fait beaucoup d’apéros, on regarde des séries, moi j’ai jamais trop été là-dedans donc c’est l’occasion, je lis des livres que j’ai jamais lu, je fais des balades, tout va bien et dès qu’il est là, on fait des trucs ensemble, on discute et on fait beaucoup l’amour. On a un quotidien qui est très agréable, on discute beaucoup, on n’est pas souvent d’accord, on n’est jamais d’accord, on est très différent, moi je suis très modérée en règle générale, j’aime bien avoir tous les avis avant de me faire le mien, j’aime pas trop être radical et lui c’est l’inverse, s’il n’aime pas quelque chose, cette chose va disparaître, s’il aime quelque chose il faut faire que ça, il n’a aucune demi mesure, par exemple on sort tout juste des gilets jaunes et les blocages etc et lui est complètement d’accord avec la cause, il trouve que l’essence devrait être gratuit pour les gens qui travaillent, je suis un peu plus mesurée, je suis d’accord que le mécontentement est légitime, mais je trouve que c’est un peu des arguments à petite vue et j’ai envie de plus de profondeur dans les débats mais je sais que je peux pas vraiment attendre ça de lui et c’est pas si grave. Ça me dérange pas qu’on soit pas d’accord parce que de toute façon on n’a rien à faire ensemble, on va pas rester ensemble, ça me permet de lâcher l’affaire aussi, ce que je savais pas forcément faire et de tester ma patience. »
« Un matin il trouve que je devrais être super chiante et de mauvaise humeur et je suis pas forcément d’accord avec ça, comme quoi peut-être pas, il me dit si si ton SPM est quand même souvent très fort, je sais, j’ai noté, il y a des jours où je peux pas te parler et normalement ça devrait être aujourd’hui et là t’es trop sympa, il y a quelque chose qui va pas. Le syndrome prémenstruel chez moi se manifeste clairement par un ras-le-bol de tout, légère dépression et je tique sur tout et je pense réellement être invivable. Au début je suis vraiment dans la mauvaise foi, je considère que c’est lui qui se trompe et que je suis peut-être pas aussi chiante qu’on le prétend quand je vais avoir mes règles mais je me dis quand même il faut que je sois attentive à ces dates là et que je commence à me poser des questions. L’après-midi même on décide d’aller acheter un test de grossesse et du champagne pour pouvoir fêter le test de grossesse négatif. J’hésite à attendre parce que j’ai pas de retard, c’est juste que je devrais être chiante, c’est des arguments qui sont un peu légers à mon goût et il me dit « Bah vas-y fais-le quand même, on verra bien et puis au pire on en refera un autre si le doute persiste mais fais déjà celui-là ». Et je me retrouve à faire le test de grossesse dans cette pièce qui se trouve à être les toilettes mais qui est également la cuisine, il est en train de faire à manger, c’est improbable et on est côte à côte, je fais pipi sur mon petit bâtonnet et je crois que j’ai même pas eu le temps de terminer, de faire pipi dessus, qu’il est positif. »
« Je vois ça, je réagis pas du tout, il n’y a plus de son, plus d’image et lui juste à côté me demande « C’est combien de temps il faut attendre pour avoir le résultat », je lui dis « Bah non je l’ai déjà, c’est positif » et là on n’a plus rien à dire ni l’un ni l’autre pendant plusieurs bonnes minutes, on dit rien du tout. Je sors, je fume cigarette sur cigarette et je cogite, je me dis « Bah non, je peux pas garder cet enfant de cet homme-là dans ces conditions-là, connaissant son point de vue sur l’enfance, je ne peux pas ». J’envisage déjà, je me pose des questions, je me demande mais comment je vais trouver une clinique, on est en plein confinement pour une IVG, qu’est-ce qu’est le mieux ? Je réfléchis plutôt pratique à comment je vais faire et en même temps je me dis que c’était la dernière occasion, que c’est une chance qui passe et que c’est très difficile à admettre de me dire que si j’ai pas celui-là, j’en aurais certainement pas. Gaëtan sort, me propose un petit verre de rhum que je refuse pas et je sais pas dans quel état d’esprit il est mais lui il me dit direct, « Je voudrais que t’envisages de le garder ». Il me propose une espèce d’arrangement qui me facilite pas du tout la tâche parce qu’il me propose de garder cet enfant, de l’élever seul et de lui dire que j’ai fait une FIV. Je dis « Bah non, je veux bien y réfléchir mais faut que tu réalises qu’à partir du moment où je vais y réfléchir, je vais avoir envie de le garder ». Il me dit « Oui oui, j’y réfléchis, je vais pas regretter ce que je te propose, je veux pas être là, ça change pas et je serai jamais là mais je vois pas pourquoi tu te sacrifierais, moi j’irai pas plus mal si t’as cet enfant mais toi je sais que si tu l’as pas, tu vas plonger dans la dépression et que ça va être très très compliqué pour toi d’en sortir ». Il me dit « Je voudrais que toi tu réfléchisses et que t’envisages de garder cet enfant, ça ne me pose aucun problème si t’as envie de le faire ». Il me propose d’être là jusqu’à la naissance, de s’occuper de moi si besoin. Il a toute une théorie comme quoi l’enfant ressent tous les plaisirs et qu’il faut que je sois bien pendant ma grossesse. Je décide de garder cet enfant et j’en suis ravie tout de suite. Je lui demande de rester en effet au début parce que je suis perdue, que la prolongation du confinement vient d’être annoncée. Je sais qu’on a deux mois sans avoir le droit de voir nos proches, je lui demande de rester encore et il me dit « Aucun problème, tu restes le temps que tu veux, je m’occupe de toi mais je te répète que je serai pas là quand cet enfant naîtra ». »
« Le confinement se termine, je passe tout le reste du temps avec lui et le gouvernement annonce qu’on va déconfiner dans la semaine qui suit. Donc je prends un peu d’avance pour avoir le temps de rentrer chez moi, de me remettre dans mon quotidien parce que c’est assez étrange, tout le monde sort de cette ambiance un peu particulière et j’ai envie de retourner chez moi et il faut aussi que je commence à envisager de non seulement reprendre le boulot, retrouver mon appart et surtout assumer que je sors de confinement avec un projet de bébé toute seule. Je rentre chez moi à la fin du confinement et je me dis, « Allez c’est le moment, il faut que je l’annonce à mes parents et on verra pour le reste du monde après mais c’est eux que j’ai envie de prévenir ». Donc j’appelle ma maman, je lui explique et je lui dis « Voilà maman je vais avoir un bébé mais il n’y aura pas de papa ». Elle réagit relativement mal, elle me dit tout de suite qu’elle m’aidera pas, qu’elle le gardera pas, qu’elle n’est pas assistante maternelle, elle a une réaction un peu de panique. Je me sens un petit peu comme une fille mère, j’ai l’impression que je suis tombée enceinte à une boum à 14 ans après avoir fait le mur. Je me prends un peu dans la figure la violence de la réaction de ma mère qui me dit, « Viens pas tout de suite, je vais d’abord préparer ton père et je vais lui en parler ». Elle me rappelle quelques jours après et elle me dit « Non mais ça va pas du tout, je lui ai annoncé et depuis il dort plus, il mange plus, il parle plus, il pense qu’à ça et ça va pas du tout, il va aller chez le médecin, la nouvelle ne passe pas du tout ».
« C’est hyper compliqué pour moi parce que j’avais envisagé tous les problèmes que ça pouvait poser, je me doutais qu’il ne serait pas ravi à l’idée mais c’est quand même très très violent. Je prends un peu sur moi, je me fais discrète, j’essaye un peu de me faire pardonner d’avoir fait ça et au bout de quelques mois, je me dis « Tant pis, vous allez vous y faire » et je tape un peu du poing sur la table très doucement en disant, « C’est comme ça, j’ai pas mieux à vous proposer, moi je suis contente, si vous avez envie d’être content avec moi, c’est tant mieux, sinon on ne se verra pas et tant pis ». La grossesse se déroule super bien, la grossesse de rêve, pas de symptômes, petite nausée vite fait qui s’arrête super vite, pas de douleur, les échos se passent super bien, c’est une petite fille, on la voit très très bien, je suis ravie. C’est une période où personne peut de toute façon être accompagné pendant les échographies puisqu’on est en post Covid, donc socialement je me sens pas différente parce qu’il y a que des femmes seules dans les salles d’attente donc c’est assez agréable, les médecins me font très peu sentir, ils me disent qu’en effet c’était les dernières chances parce que j’ai 37 ans, qu’en effet c’était mieux de le garder mais ils me font pas ressentir que je suis différente, même au contraire, je vois des médecins qui sont très très rassurants et qui me disent que ça se passera très bien, ils en sont certains et ils sont complètement confiants et moi aussi j’ai la sensation que ça va très très bien se passer. »
« Plus la grossesse avance, plus j’ai envie que Gaëtan soit présent, enfin plus j’y pense, plus je me dis que ce serait possible sans être en couple, je me dis qu’il pourrait avoir une place assez sympa à prendre et j’imagine une sorte de coparentalité dans laquelle il serait présent comme ça à l’arrange mais ce serait quand même mon enfant à moi seul mais je pense que j’aimerais qu’il existe pour mon enfant. »
« Il n’est pas d’accord du tout avec le principe, il réagit très mal à cette idée, il se braque complètement et on se dispute pas mal à ce sujet là donc je laisse tomber en me disant « On verra » et je pars du principe que je suis seul et si un jour il veut apparaître il apparaîtra. Pendant les dernières semaines de la grossesse on ne se voit pas du tout, on n’est pas du tout en contact, j’ai l’impression d’être déçu à chaque fois que je dialogue avec lui. Lui je pense à l’impression que je lui mets la pression et que j’attends de lui des choses. Pour éviter tout quiproquo, je coupe le dialogue, on ne se voit pas et c’est très bien parce que la grossesse se passe très très bien. Je suis dans le deuxième trimestre, c’est l’été, il fait beau, ça commence à se voir, les gens sont sympa avec moi, le cap de l’explication est passé, finalement personne ne me pose de questions, tout le monde est complètement d’accord avec ma situation et je pense que je ne leur laisse pas la possibilité de ne pas l’être. Ça suit son cours et ça se passe très bien. »
« On arrive à la fin de ma grossesse en décembre et j’ai hâte, j’ai très très hâte de rencontrer mon bébé. Tout se passe toujours très bien, je ne vais pas au cours de préparation à l’accouchement parce que ça ne m’intéresse pas et que je suis persuadée que ça va très bien se passer. Je sais quand même que si on sent du liquide, il faut se poser la question et ça m’arrive. Mais je ne suis pas prête à accoucher, je sais que je ne vais pas accoucher et j’ai envie de mettre mes affaires en ordre. Donc je décide de terminer mes cadeaux de Noël, de faire mon ménage chez moi tout en minimisant le fait que je suis en train de perdre petit à petit les os, je le sais. J’attends quelques jours avant d’appeler la maternité en minimisant les choses et elles me disent « Mais non, non, faut venir tout de suite et avec vos affaires parce que vous ne repartirez qu’avec votre bébé et il faut y aller, c’est maintenant ». Je décide de prendre ma voiture pour me rendre à l’amateur mais tranquillement et j’appelle ma maman, je lui « Dis est-ce que tu pourras venir récupérer ma voiture parce que je vais accoucher, je ne sais pas pour combien de temps j’en ai », elle me dit « Bien sûr que non, je vais t’emmener à la maternité, je vais rester avec toi, ça me paraît évident » et elle m’emmène. Je n’ai pas forcément envie qu’elle reste parce que j’ai envie de faire mon accouchement tout seul, en plus je sais que ça ne va pas être tout de suite, je sais que je dois juste rester sous antibiotique et rester au repos dans une chambre d’hôpital. »
« Gaëtan n’est pas là, je ne le préviens pas, je lui avais dit la date prévue du terme et comme on n’est pas en contact depuis longtemps, j’envisage même pas de le prévenir, je vais à la mater faire mon truc avec mes petites séries et j’ai envie d’être tranquille, j’ai envie que personne ne vienne me voir et c’est très pratique puisque de toute façon on est encore en plein Covid et qu’il n’y a pas le droit d’aller dans la mater. C’est une excuse toute trouvée, j’ai envie de me reposer pour être en forme pour accueillir mon bébé et encore une fois je sais que ça va super bien se passer.
« Le travail est assez long mais j’ai la péridurale tout de suite donc j’ai pas mal. Je dors, je reste en salle de travail à peu près 22 heures et le monitoring me dit que j’ai dormi pour 20 heures sur les 22 heures. Il me réveille pour me dire « Il va falloir commencer à envisager de pousser madame ». Je lui repose la question « Mais à quel moment on rentre dans le dur un peu comme dans les films ? », il me dit « Mais vous ça n’arrivera pas dans un quart d’heure vous avez votre bébé ça va pas être plus violent que ça et tout va bien se passer » et je pousse deux fois et mon enfant est là. C’était tellement facile et super fluide. Je ne me dis pas j’ai fait mon enfant seul mais on me le fait beaucoup remarquer parce qu’on me plaint beaucoup. À la maternité les gens sont très tristes pour moi, les sage-femmes sont super tristes que je sois toute seule. C’est même moi qui suis obligée de les rassurer en disant « Mais je suis bien, je suis contente, je pourrais avoir du monde autour de moi. C’est un choix et vraiment ce moment là je vais avoir besoin d’aide après mais en ce moment précis j’ai vraiment envie d’être tranquille pour rencontrer mon bébé. J’ai envie de vivre ça, on va être toutes les deux donc autant qu’on se rencontre toutes les deux et qu’on fasse connaissance tranquillement ». C’est le jour de Noël tout le monde est occupé à autre chose ça tombe bien on a ce moment là pour nous toutes les deux où on fait connaissance, on s’apprivoise et c’est évident tout de suite.
« Au 1er janvier les traditions veulent qu’on s’envoie les vœux, je reçois évidemment un petit message de Gaëtan qui me souhaite innocemment une bonne année. « J’ai appris que tu avais une petite fille et je te félicite et je suis contente de savoir que vous allez bien ». Je suppose donc qu’il a appris par des amis communs que ça s’était bien passé. On en discute un petit peu, il me dit qu’il sera là si elle a des questions à lui poser mais qu’en attendant il n’est pas père, il veut pas être père et il ne le sera jamais. Deux ou trois mois après la naissance de ma fille j’ai des envies physiques qui reviennent et j’ai pas envie de faire l’amour avec n’importe qui, j’ai pas envie ni le temps de faire des rencontres et je le recontacte, pas forcément dans un premier temps pour des contacts physiques mais j’ai envie de faire une soirée où je pense à rien et où on peut aborder des sujets légers tout en me disant que ça finira quand même par un acte sexuel. Lui me répond tout de suite très spontanément « Aucun problème, on se voit, je te fais à manger, je sors du champagne, on fait l’amour et tu rentres chez toi à requinquer pour t’occuper de ta petite et t’inquiète je m’occupe de toi ». J’y vais, je passe une super soirée mais je me dis « C’est la dernière fois, ça m’intéresse plus et j’ai pas envie que ça se passe comme ça ».
« Quelques semaines plus tard on se voit pour un café, ma fille est présente, elle est trop mignonne, elle est super facile, elle est dans son petit coin, elle est trop chou et lui il est là, ça lui fait rien du tout. En même temps j’en attends rien mais je suis quand même super déçue et je me dis « Pourquoi je m’inflige ça ? D’essayer de rester en bon terme. De faire en sorte qu’ils se voient dans l’espoir de quelque chose » alors qu’en fait ça va, moi ça va, ma fille ça va, lui de son côté ça va, on pourrait peut-être arrêter là et couper le contact et c’est ce qu’on fait. »
« À la maison avec ma fille on m’avait annoncé le pire, on m’avait dit « Tu vas plus dormir, t’auras plus jamais de temps pour toi, tu vas être seule avec un enfant qui hurle, tu vas avoir envie de le mettre par la fenêtre », on m’a dit des choses horribles et je suis un peu dans l’attente de ça et ça n’arrive pas. Ma fille est mignonne, elle fait ses nuits depuis la maternité, le jour de ses un mois elle commence à dormir 12 heures par nuit, elle est sympa, elle mange bien, elle dort bien, elle évolue bien, elle ne fait pas de bruit mais en même temps elle est mignonne, elle sourit, elle s’épanouit très bien, elle est très facile à vivre, c’est super, j’ai aucun problème de rythme, de sommeil, tout ce que j’ai pu lire, entendre, ça n’arrive pas et je dois reprendre le boulot. J’appréhende parce que ça se passait pas mal mais ça se passait pas bien non plus, il va falloir que je la mette à garder pour aller dans un endroit qui ne m’excite pas et en effet dès que je reprends le boulot, ça se passe très très mal. Mon patron qui était déjà un personnage particulier se révèle complètement odieux avec moi, il prend très mal que je sois mère célibataire, je suis très vite à bout de patience, là où j’avais toujours été très patiente avec le personnage et je m’en fichais un peu, là ça me tient beaucoup à cœur, je me dis « Mais ça ne pourra pas durer comme ça » et très vite ça clash, je quitte l’entreprise au départ en me disant je reviendrai demain ou dans quelques jours et mon médecin me dit « Non faut jamais y retourner, ça va pas, cette entreprise vous y êtes pas bien, vous avez besoin d’être bien avec votre enfant, vous prenez le temps qu’il vous faut mais vous n’y retournez pas » et mon médecin m’arrête six mois.
« Pendant ce temps là, c’est le congé parental que j’aurais jamais rêvé avoir, j’ai du temps pour m’occuper de ma fille mais elle est gardée dans la crèche d’entreprise, mon patron est dégoûté parce qu’il paye une crèche alors que je ne vais pas travailler pour lui, j’ai du temps pour moi, j’ai un nouvel appartement dans lequel j’ai des travaux à faire, j’ai du temps pour les faire, mon médecin trouve que c’est très bon pour ma santé mentale de faire mes travaux donc j’avance à fond, je suis en train de me faire un petit nid et cet appartement est très grand et je me dis que je pourrais utiliser une partie pour monter ma société, me mettre à mon compte et l’idée commence à germer de prendre un peu ma liberté avec mon enfant. »
« Pendant mon arrêt maladie, je me rends compte que plein de choses viennent à moi et que j’ai un super réseau et que j’ai un entourage de confiance avec lequel je peux faire des projets. Tout de suite, on me dit que si je monte une structure, j’ai des clients, j’ai des fournisseurs qui me font confiance et je peux me lancer sans trop prendre le risque. Au-delà du boulot, il y a tout le réseau des parents qui s’active parce que c’est là que je me rends compte que les parents se voient entre eux et que c’est très bien aussi. J’ai l’impression que je deviens adulte d’un coup et de la meilleure manière qui soit. J’ai l’impression que c’est ça que j’attendais et que c’est en train d’arriver. Si je repense à mon mois d’avant le confinement, je ne regrette absolument rien. C’était très bien et ça me convenait et je suis contente d’avoir vécu ces années-là mais je suis très contente d’être là où j’en suis tout de suite et c’est arrivé exactement au moment où je rêvais que ça arrive. En plus, j’ai l’impression que le monde entier s’est un peu aligné sur mon timing à moi parce que quand j’étais enceinte et que j’avais pas hâte de sortir, il y avait le couvre-feu, personne ne pouvait sortir. Quand j’ai accouché, c’était le Noël, on n’avait pas le droit d’être plus de 6 donc de toute façon c’était un peu plus triste que les autres années. J’ai l’impression que le monde entier a fait en sorte que je passe de l’autre côté d’une façon super agréable et j’ai adoré cette période et j’adore de plus en plus tout ce qui se passe dans la vie d’adulte. Je pensais que ce serait un deuil à faire alors qu’en fait c’est super bien de vieillir avec un enfant, de faire d’autres projets, c’est le top. Une amie m’a dit qu’elle qualifie souvent mon histoire de success-story ordinaire quand elle en parle dans son entourage et on voit beaucoup de gens qui font des tours du monde, qui font des très beaux voyages, qui ont des ascensions professionnelles hors du commun alors que finalement peut-être qu’une petite histoire toute simple de maternité de femme seule ça peut être suffisant. »
Vous venez d’écouter Transfer, épisode 292, un témoignage recueilli par Miren Garaicoechea. Cet épisode a été produit par Slate Podcast.
Transfert est produit et réalisé par Slate Podcasts.
Direction éditoriale: Christophe Carron
Direction de la production: Sarah Koskievic
Direction artistique: Benjamin Saeptem Hours
Production éditoriale: Sarah Koskievic et Benjamin Saeptem Hours
Chargée de pré-production: Astrid Verdun
Prise de son et montage et habillage musical: Victor Benhamou
Musique: «A nice Getaway», de Thomas Gallicani
L’introduction a été écrite par Sarah Koskievic et Benjamin Saeptem Hours. Elle est lue par Aurélie Rodrigues.
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